Quelques mots parmi les pierres



La froide violence de l'eau 
Eclate. Et la roche 
Aveugle, muette, monumentale. 
Toujours à Gavarnie un poème s'écrit 
Avec les mots mûris 
D'un chant plus ancien. 
Au plus pur de la source, 
Dans le fracas froid du gouffre, 
Un vertige 
Au coeur de la langue 
Inextinguible flamboie de nouveau, 
Déchire les masques, 
La politesse usée des phrases invétérées 
Dans le secret de son silence. 
Et c'est sur le chemin du retour 
La couleur dans les prairies des fleurs 
Le soleil régnant sur les êtres apaisés 
Les mots qui s'élancent sans bruit 
Invisibles félins des forêts de l'esprit.


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Reading Dash

Je lis comme si je marchais: 
Les phrases sont sèches 
Comme les bruyères en fleur. 
Les mots ont l'exigence 
Des chemins pauvres bordés de fougères. 
Lentement s'éclaire 
D'un jour miteux de vérité médiocre 
Les rixes des tueurs, 
Leurs jeux d'enfants mégalomanes. 
Malgré la douceur feinte, 
Un amour secret perce 
Dans l'épuisement des nuits blanches, 
Sous le cynisme nu des projecteurs, 
Comme une ombre silencieuse, 
Un bastion plus sombre de la nuit, 
Qui cerne la voix sombre du matin.


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Solide au milieu de la pente
L'Eglise est une forteresse 
Plus forte au milieu du village 
Que la tour d'orgueil qui s'offre aux vents. 
Solide au centre du village 
Elle a vu monter les maisons lourdes 
Les hommes dos cassé sous le foin 
Le troupeau bête des moutons à clochettes. 
L'Eglise est carrée ses pierres sont carrées 
Un chrisme simple clôt son enceinte 
Tour elle garde le silence 
Comme le fruit fragile du premier amour 
Qu'il faut sauver des hommes et des cimes. 
Mais parfois il s'enfuit seul sur les pentes, 
Vole le vol des vautours, 
Frémit sur les lèvres d'un passant 
Qui le perd sans l'avoir vu passer.



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Maigret chez le fou

Ce matin
La ville semble une phrase 
Ensoleillée. 
Derrière les façades blondes 
L'ombre elle-même 
Se déchire. 
Les mots semblent justes comme les juges 
Des romans chinois d'autrefois. 
Pourtant la place 
Sous le tilleul reste vide, 
Un battement de pas qui sonne faux 
Trahit l'angoisse d'un passant pressé 
Dans une rue voisine. 
Une imperceptible fêlure 
Trouble la paresse des mots ordonnés



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Rodellar

Petite musique des pierres, 
Souffrant mille blessures 
De mille secrets torrents 
Pour mille fois mille ans. 
Rodellar 
Silence du soleil 
Que l'eau comme un serpent 
Fuit sous les rochers. 
Rodellar je me souviens 
Du vieux tracteur qui portait sur sa grille 
Fièrement un crâne de bélier 
Quatre plumes de vautour 
Pour se protéger du temps qui passe 
Toute la journée en boitant dans les rues.



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A la vierge de Saint Savin (Lavedan)

Corps étrange de Marie,
De son fils au long pouce; 
Corps étrange de l'artiste 
Qui leur prêta vie, 
Qui fit chair le symbole. 
Corps étrange que le nôtre, 
Emu par cela qu'il ignore, 
Qu'il juge obscur et chimérique.



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Le soir, le ciel s'éclaira enfin, découvrant l'océan, la côte sableuse au loin que l'on distinguait du haut des falaises. Le fond du drame était sans intrigue et sans pensée. Les êtres qui dansaient là étaient plus lents que le langage, où leur affleurement pourtant faisait frémir des mots. Dans le chêne, le poids d'un écureuil en fuite laissait trembler une branche.



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Covacho de Inclan

Comme une blessure du temps
Un cerf rouge sur la paroi 
Retient un instant 
Les passants fiévreux 
Près de sa brève brûlure lithique. 
Signal perdu 
Parmi les vagues de la terre 
Il garde un peu de son silence 
Dans l'odeur solaire 
Du chemin qui s'efface



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La nuit s'offre aux poèmes. Eux seuls savent l'apaiser.Elle est nue comme l'hiver, forte et faible comme une femme. C'est la citadelle du silence. Il faut la serrer contre soi, se laisser bercer dans ses bras, parler doucement comme si elle portait un enfant endormi. C'est la vierge de La Tour. Il faut savoir la quitter juste à temps, lorsqu'elle commence à sourire, pour partager sa solitude, tout le jour exilé.



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C'est son tour aujourd'hui: 
Ainsi nous glisserons vers la mort 
Acteurs malgré nous de la comédie misérable 
Des pensées égarées, 
Des chairs rongées avant l'heure. 
Nous partirons sans savoir 
Le nom de celle 
Qui dormait avec nous, 
Sans comprendre... 
Nos derniers mots 
Seront pour la chienne folle, 
Pour les pommes mures 
Qui nous attendent 
Sous les pierres.



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Quand le feu s'est retiré des fougères
Des ajoncs aux tiges noircies 
Les vautours sont venus 
Scruter les pentes 
En éclaireurs obstinés de vivants. 
La première herbe est nôtre, 
La première bruyère 
Eclose. 
Plus tard, l'odeur des fougères 
De nouveau régnera près des rochers; 
Leur chant éclatera sous nos pas 
Et nous ne saurons plus parler. 
Ici dans la tremblante 
Chuchoterie du commencement 
Balbutient nos paroles 
Sous le lent mouvement 
De ces grandes ailes qui passent.



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Pour Hélène

1



Elles s'en vont
Vers l'ombre et la forêt, 
Comme étranges, 
Sur les marges du vide. 
Les trois soeurs disparaissent, 
L'écume des graviers 
Epuise le monde désormais. 
L'ombre 
Jette sa pierre au néant, 
Ronge le vide. 
L'exil me gagne, 
Et son harmonie mystérieuse 
De pays renversé. 
Et pourtant 
Je crois reconnaître ici 
Les rivages de la parole. 
Je rêve un instant 
Que je rêve avec toi 
Marchant sur les terres du silence.

2

Elles s'éloignent
Du chemin, 
Laissent l'absence 
A sa courbe 
Et s'adonnent 
Aux ombres. 
Qu'offriront-elles aux morts 
Dont le souvenir frémit 
Avec les chênes sous le vent? 
Que diront-elles 
Au silence 
Qui ronge leurs solitudes? 
Elles laissent au soleil 
La nudité 
L'opacité des pierres

3

Sous le soleil d'hiver
A petits pas 
Quatre vieilles dames 
S'avancent 
Dans le bourdonnement 
Des mots. 
La forêt les ignore. 
La litanie des souvenirs 
Qui les rassemble 
Cache les chênes. 
Je les quitte 
Pour un chemin d'ombre; 
Des pas furtifs 
Emportent leurs secrets 
Avec des craquements de feuilles.

4

Sur le chemin de silex
Passe le souvenir 
Des passants. 
Après la pluie 
On entend juste 
Des mondes qui se froissent, 
Insoumis. 
Des mots jonchent la terre, 
Vagabonds, 
Privés d'histoire.

5

L'ombre ronge
Les marges 
Jette une pierre au néant. 
Au centre, 
Rien 
Que le réseau tendu des ombres. 
Une crue de monde 
Emporte les cadres rompus 
Des phrases aveugles.



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La pierre douce
Semble rire du vent 
Et claire s'offre à la pluie 
Froide comme le volet clos 
Que les passants regardent. 
Entre leurs pas pressés 
Le silence fait un bruit curieux.


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Pour vivre il suffit
Dit l'accorte marmotte 
D'un rocher d'un pré fleuri 
Le rocher sert à dormir 
A guetter à crier 
A prendre le soleil à s'épouiller 
A regarder le monde qui s'écoule 
A se cacher couchée comme un tapis. 
Le pré c'est pour brouter 
Comme les vaches du soleil 
Et jouir un peu de la fraîcheur d'être. 
A la fin d'habitude un aigle 
Vient il vous emporte 
Sur son nid de mort. 
A la fin la marmotte vous laisse 
Seul un caillou moussu pour miroir.




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Assis sur l'herbe des falaises
Je guette l'océan. 
Une vague brume traîne 
Entre les bras de la brise. 
Des oiseaux de mer tournent 
Glissent et se jouent des vagues, 
Passeurs sans rivage de l'infini chaos 
Qui pourtant s'assemblent 
Comme pour cacher leurs solitudes. 
Comment parler, et pourquoi? 
En présence de ces passants simples 
Qui sont le geste même du monde. 
Blessant l'écolier trop savant 
L'enfant que j'écris à mots lents 
Sans comprendre 
Cherche à les imiter.



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Topo: petit poème ferroviaire en couleur.

Hendaye. Souvenirs des bruyères,
Des rochers rouges, du liseron des sables 
(Cet incrédule). 
Quelques notes: fermeture des portes, 
Des fenêtres. Portée de linge. 
Gare vide. Usine abandonnée, immeubles. 
Lande à nouveau au flanc de l'horizon. 
Des bribes de port sous les murs. 
Un éclat de ciel. Le groupe rentre 
En riant. A Loyola le jardin 
Exhibe un squelette. Donostia. 
L'approche du soir éclaire ton regard.



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Héron silencieux
Raide immobile au milieu de l'eau
Dormeuse, 
Fuis-tu la fuite du temps? 
Calme reflet de ton reflet 
Indifférent 
Au lent balancement des roseaux 
Que le vent peigne... 
Tes pas mêmes 
Ne troublent pas l'eau 
Où passent les poissons blancs 
Seuls sujets de ton désir. 
Tu pêches ici sur les étangs du silence 
Et de l'immédiate présence 
Où seul l'éclair de ton geste 
Précipite l'heure meurtrière.



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Près des galets
L'eau s'écoule 
Sourde aux douleurs 
Des blessures silencieuses. 
Dans les branches d'automne 
Qui tremblent, 
Je crois deviner 
Les phrases les plus belles, 
Celles qui ne seront jamais; 
Je ne les écrirai pas: 

Je ne pourrais te les dire. Déjà, je n'entends plus Que les froissements confus Des feuilles noircies pour rien.



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A quatre pattes
Parmi les fleurs 
Comme un bébé 
J'apprends le monde. 
Elles 
Me tirent la langue 
Comme des gosses, 
Les sauvages 
Eparses discrètes parmi les herbes 
Folles. 
Au loin l'océan varié 
M'emporte 
Ici même le nez à terre.



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Au bord fuyant de son mouvant pays, le pavot cornu piège le temps. Aussi poilu qu'un chameau, il l'encoffre pour qu'éclosent ensuite ses grandes fleurs jaunes. Dures sont les dunes pour l'heure qui passe. Le lys de mer saisit son corps entre les doigts, l'immortelle rit jaune à ses dépens. Le petit oeillet des sables l'enferme odorante dans son calice et laisse se décanter la trace nostalgique des jours qui n'ont pas été. Quelques passants s'arrêtent, attentifs à la rumeur de la mer, profitant de la raréfaction des jours et de la floraison tardive des mots.



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Le vent

Fait chanter les feuilles 
Sans musique. 
A pas lents 
Sur le chemin entre les arbres 
Je m'adonne au soleil. 
La douce amère fleurit 
Près de l'enchanteresse 
Avec la Toute Bonne 
Parmi les ombres. 
Je me déserte et m'abîme 
Dans l'ivresse lucide 
Des multiples présences 
Où le soir mêle 
Comme dans un premier rêve 
Les mots, les choses, 
Et le souvenir de la pluie. 
Surpris de mon pas lourd 
De métaphysicien fatigué 
Un lézard se cache 
Sous une pierre.



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La nuit reine des forêts
Laisse voir sous son silence, 
Sous ses rêves et sous ses insomnies 
Tous les mots qu'elle garde en son jardin, 
Qui se souviennent de ma vie, 
Et de la tienne et de nos silences. 
Comme un grand feu matinal 
Elle les lance sur la lande, 
Comme un grand feu de berger 
Qui livre ce royaume du jour 
Aux enfants fidèles de la nuit 
Tissant doucement leur règne d'ombre.



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La pierre s'offre au soleil

Et dure, 
Secrète le trahit 
Le révèle volage, 
Presque faible comme un homme. 
A l'ombre du platane 
Quelques mots parmi l'eau des fontaines 
Cherchent ce sens qui se cache et fuit 
Avec les méandres du fleuve, 
Là bas, 
Dans le pays invisible. 
Le pavé des rues 
Redit la nostalgie lumineuse 
De ce qui n'a pas été.


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Descendant la pente inégale
Pas à pas le sentier s'éloigne du lac, 
Chemine comme le torrent qui toujours 
L'accompagne. 
Marchant sur le dos rond des granits 
Je m'encascade à mon tour, me divise 
Pense me perdre dans mes rêves 
Sur le plateau entre les Îles 
-Il y en a de vertes comme pour la sieste, 
D'autres sont rudes pour méditer avec les pins-. 
Le torrent plus souple s'éloigne à la fin, 
S'arrache à la pente qu'il arase, 
Poursuit sa course sans retour. 
Mes pensées me livrent presque au silence, 
Puis l'odeur des pins me revient 
Comme j'écris, et la transparence de l'eau.



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Aux jeux trop savants des peintres
Je préfère la course folle 
Que font les arbres sous le vent 
Et l'eau qui rit dans les rues 
Et même 
Le silence entre les mots 
(Comme à Font de Gaume: 
Le cheval de pierreSuit le cheval noir). 
Ce sont les grands signes illisibles 
De mort, de nuit et d'étoiles 
Des troncs mouillés sur fond de brume, 
Des pas perdus dans la neige. 
C'est un remous dans l'herbe rousse 
Sous l'oeil fou d'un renard.

Page créée le 10 janvier 1998 par Emmanuel Hiriart